Lettre à mes amis réels, virtuels, et à ceux avec qui je
croyais partager des valeurs indéfectibles.
Ceux qui me connaissent un peu ne seront pas surpris de
deviner que j'étais content de voir partir le président candidat hier soir.
Sans stigmatisation. Pour tout ce qu'il représente et que j'abhorre chez l'être
humain, ses idées politiques et son style. Ravi aussi de voir partir sa clique
de ministres présomptueux, incapables ou malhonnêtes. Et Pourtant, j'ai très
mal dormi.
Très mal dormi car je n’ai pu m’empêcher hier soir de suivre la soirée sur les
réseaux sociaux, et que bien qu’aguerri à certaines inepties habituelles, ce
que j’ai pu lire ici ou là m’a glacé le sang. Même si cela est bien pratique
pour faire le tri, tous ces commentaires prouvent à quel point l'intox a marché
et le peu de culture politique et historique de nos contemporains.
Je vais mettre tout le monde à l’aise, je ne suis pas issu d'une famille de
gauchistes comme on dit, loin de là, et ne possède pas un seul ancêtre aux
racines exotiques, il n'y a qu’à voir mon patronyme.
Qu’on soit de droite, pourquoi pas, il y a bien des gens qui croient en dieu, mais
qu'on imagine que c'est la victoire des pauvres, des arabes, des branleurs, des
drogués; après toutes les humiliations, la condescendance, la poudre aux yeux,
la mégalomanie, l'impudeur totale que l'on a vécue pendant ces longues années,
c'est à se pincer. Ou alors c'est qu'on est à court d'arguments.
Je crois comprendre aussi à travers les moqueries que le nouveau président
n'est pas assez tape à l’œil, mince, Jet set. Je saisis mieux alors votre
déception si vous avez la nécessité d’un président qui vous ressemble. Je ne
dois pas avoir l’âme d’un winner. Peut-être que tous les ambitieux, dents longues et autres donneurs de leçon en
ont pris un coup dans leur égo. Tout le monde peut se ramasser. Et ce n’est pas
forcément la faute du système, ou de la crise. Je vais vous faire une
confidence, je connais des gens qui paient l’ISF et qui étaient content du
résultat hier soir. Ils continueront à travailler en France, payer des impôts,
et je vous rassure, réussiront à boucler les fins de mois sans le moindre
souci, et sans toucher à leur train de vie. A l’heure qu’il est, ils sont
sereins, ils hésitent juste sur la couleur de leur prochain véhicule.
Non mais sérieusement, de quoi avez-vous peur.. ? Auriez-vous des choses à
vous reprocher.. ?
Au pire, rien ne changera, mais avec un peu plus de décence. Libre à chacun de
partir à l'étranger, cela aura au moins comme vertu pédagogique de découvrir
vraiment le statut d’émigré. J’aimerais rappeler aux quelques imbéciles, qui,
pensant manier l’humour avec brio, imaginent que demain le couscous deviendra
plat du jour universel ou encore les babouches obligatoires, que la plupart des
gens qui ont voté hier sont les plus grand défenseurs de la laïcité et les plus
anti communautaristes. Bien à vous de préférer églises aux mosquées ou je ne
sais quel temple, je vous laisse entre vous, je ne me sens pas concerné. Je
suis un homme libre. Et je pense plus fort que jamais que la religion est une
histoire privée, et qu’elle n’a rien à faire dans la vie de la cité.
Alors oui, hier soir, j’étais ravi, sans triomphalisme, car je pense que le
programme que j’aimerais voir appliquer un jour aurait vraiment de quoi vous
foutre les jetons. Mais j’étais ému.
J’ai pensé à toi, maman, qui bien que déçue par le passé devait avoir les
larmes aux yeux devant ta télévision en repensant à tous les gamins que tu as
porté dans l’école de la république, avec si peu de moyens et toute cette
misère, tu peux partir à la retraite, tu l’as bien mérité malgré tous les
crachats infâmes.
J’ai pensé à toi Patrick, qui essayait peut-être de suivre le décompte, de garde
au milieu des brancards entassés et des plaies de l’âme.
J’ai pensé à toutes ces femmes qui ne sont toujours pas représentées et
considérées.
J’ai pensé à vous, mes amis des minorités si grandes, pédés, noirs, arabes,
juifs, mohicans, zapatistes, à ceux qui ont reconstruit la France, ceux qui participent à sa culture
bouillonnante et sa créativité légendaire, vous qui vous levez tous les matins
malgré les gifles quotidiennes.
J’ai pensé à toutes ces fois où toi, avec ta gueule de métèque, les yeux plein
de larmes, tu enviais mon état civil, après avoir essuyé une énième
humiliation, alors que tu méritais toutes ces choses autant que moi.
J’ai pensé à Charlie Hebdo et leurs locaux dévastés.
J’ai pensé à tous les inadaptés, les handicapés, les vieux, les rmistes, les
chômeurs, qui aimeraient pouvoir prendre part à cet effort collectif.
J’ai pensé à tous mes amis ici, avec leurs noms bizarres et leurs utopies
éternelles.
J'ai pensé à Ghis, qui est obligé de bosser double grâce au superbes Lois
Robien.
J’ai pensé à vous, Gilles Doyen, Fred Tanari et les autres, avec vos musiques
et chansons aussi lucratives que les miennes, mais qui n’ont pas de prix.
J’ai pensé à toi, ma fille, mon petit biscuit, à qui je n’ai su expliquer
pourquoi certaines personnes avaient deux maisons et d’autres zéro comme tu
dis. Il faut croire que les sueurs ne se valent pas.
Je ne crois en rien, j’espère juste que certaines choses vont changer, comme
toujours. Dans le cas contraire, je compte bien me faire entendre. Et fort.
Bon, c’est pas tout mais on est déjà le 7 mai, j’ai le loyer à glisser dans la
boite aux lettres de ma propriétaire, et comme elle dit, si vous saviez ce que
c’est que d’avoir tous ces appartements à gérer ! Je ne voudrais pas lui
mettre une couche supplémentaire d’angoisse.
Et puis j’avais pas dit que lundi c’était le retour de la poésie.. ?