mercredi 18 février 2015

Une époque formidable...

Mon fils est né.
Ce que j'ai le plus entendu, mis à part les félicitations traditionnelles - auxquelles je ne comprends d'ailleurs toujours rien : quoi de plus à la portée de tout le monde, de plus courant, de plus archaïque que la reproduction ? - est qu'il est né dans une période difficile.
Au premier abord, et suite aux évènements arrivés à une bande de gauchistes saltimbanques branleurs dessinateurs et chroniqueurs chevelus ou mal rasés, il m'eut été presque naturel d'opiner du chef par simple réflexe, mais, vous connaissez mon goût pour la contestation, je ne pus m'en remettre à une extrémité si consensuelle.
Déjà, parce que je ne suis pas sûr qu'on fut mieux sous l'occupation (quoique certains semblent regretter cette époque...) ou pendant la pandémie de peste bubonique, voire celle de la grippe espagnole, ou encore à souquer ferme sur une galère maltaise.
Ce à quoi vous me rétorquerez qu'à choisir vous prendriez plutôt le temps béni des colonies, des trente glorieuses, de la femme au foyer, enfin bref, l'époque où l'on avait encore des valeurs mon bon monsieur..!
Ces valeurs, cette prospérité, vos nostalgies, foutez-vous en jusque là, je vous les laisse... et par pitié, ne venez pas me demander de choisir entre la corde et la cigüe.

LA LIBERTÉ OU LA MORT ?

Alors oui, nous vivons une période trouble, pleine d'incertitudes, mais je préfère mille doutes à une seule fausse vérité inaltérable. Et vous voulez même que je vous dise, je l'aime cette période de tous les possibles, cette odeur de fin du monde qui n'avance plus masquée, cette sensation de vide abyssal, parce que c'est dans ces moments et non dans la liesse que je me dis que nous pourrions peut-être trouver en nous la force et les moyens de nous tirer vers le meilleur, de sortir de nous-même, d'extirper de nos êtres ce que nous avons de mieux.

Si j'essaie de mettre de côté l'assassinat de mes amis de Charlie - bon, d'accord, c'est pas facile - nous vivons actuellement une période au goût acidulé ou la cécité semble lâcher prise.
La religion montre son vrai visage, celui de la haine, de la violence, de l'exaction, de l'extermination de toute apostasie comme appelé dans leurs soit-disant livres de paix.
S'il faut se soumettre, alors je préfère largement la mort. Si seulement je croyais à l'au-delà, je pourrais en consolation avoir la perspective de me retrouver au comptoir de l'enfer avec Charb, Dewaere et Gainsbourg, c'est où qu'on signe..? De plus, la vie serait plus simple. Fini le flip de se sentir une boule de hasard, de l'infiniment grand, du néant, enfin une réponse à chaque question..! Répondre finalement lassé de tout par l’acquiescement à ceux qui voudraient que je me prosterne, m'agenouille, me découvre, me déchausse, m'interdise de boire, de manger, de jouir..! Finalement, Trouver la chevelure d'une femme obscène me tirerait de bien des tracas..!
Votre foi est-elle si fragile qu'elle puisse être ébranlée par mon hédonisme..? Est-ce que je viens, moi juger, amputer, circoncire vos palabres et prédications sectaires et vos appels à la haine de l'impie dans vos temples sacrés, que nous finançons tous en plus, pendant que vos ouailles crèvent de faim dans les rues..? Au nom de quoi vous permettez-vous de me dire ce qui est bien et mal, après des siècles de cruautés en tout genre menés par vos piétés aveugles..?
Lâchez mon bras, je n'ai pas besoin de tuteur, de béquille pour apprendre à marcher droit, jamais vos imprécations ne viendront souiller le vestibule de mes minots, ni votre eau funeste frapper leur front, aux barbaries féodales je préfère les Lumières.

CROITRE INDÉFINIMENT MAIS POUR COMBIEN DE TEMPS ?

Encore mieux, ce fameux monde où il faut faire ses dix pour cent de plus chaque année s'écroule tout seul comme un pantin, comme un château de carte victime d'un toussotement, d'un courant d'air, malgré les sacrifices des populations et les rafistolages impudiques à coup de milliards, après des décennies ou remettre en question le moindre de ses fondements vous faisait passer pour un puéril anarchiste, un feignant utopiste et attirait sur votre carcasse fielleuse caricatures et moqueries condescendantes. Allez donc bosser le dimanche, revenez aux quarante heures, cinquante même, faites des heures sup, tirez la couverture à vous, dans un pays ou un quart des actifs n'a pas de boulot, gavez-vous comme des oies malades, c'est le siècle du surmoi, de l'impudeur, profitez..! Désolé, ne comptez pas sur moi, traitez-moi de feignant, de parasite, d'inconscient qui est en retard sur le monde, je serai au square avec mes mômes...
On ne peut croitre indéfiniment. Cette phrase tellement simple, compréhensible pour un enfant de sept ans, celle-là même qui faisait pouffer il y a vingt piges, commence à raisonner dans les crânes d’œufs de ces eunuques certifiés conformes par leurs grandes écoles.
La seule école valable, c'est la rue. Le terrain. Bouffer du gravier. La pratique qui met à terre toute théorie.
Traîner dans son cartable la connerie de ses ainés, comme un dogme, une doctrine infaillible, sans jamais rien remettre en question c'est prendre le risque de sentir l'odeur de poudre qui traine partout ces temps-ci. C'est une autre forme de religion.

D'aucuns fustigent un monde qu'ils ne comprennent plus, qu'ils voudraient voir changer, en fait plutôt retrouver leurs schémas d'antan, sans bousculer aucune de leurs habitudes. Quoi de plus angoissant que la majestueuse statue d’airain vacillant sur son socle..? Cette période est peut-être une période charnière, et tant mieux.

JE SUIS LE BRUIT ET LA FUREUR LE TUMULTE ET LE FRACAS

Mon fils est né le jour de la victoire de Siryza. Loin de moi la naïveté de penser que le monde en tournera mieux, mais ça fait du bien de souffler un peu sur la poussière. Je veux y voir une petite lumière au fond du tunnel, l'appel de quelque chose de beau, du commencement d'un bout de truc.
Je ne veux plus penser à Charb, sans visage, mitraillé à bout portant pour délit de génie, et me tourmenter d'avoir été assez inconscient pour jeter à nouveau dans cette grande mélasse un petit être qui me le reprochera parfois. J'essaierai de me le persuader que la vie vaut le coup d'être vécue, que la vie est belle comme sa maman, et que cette histoire va bien finir. A nous d'en décider.